Erotisme & Pornographie
17 octobre 2015

Romantic Couple at Sunset


La volonté de savoir lequel du sentiment amoureux ou de l’habilité érotique constitue le principal enjeu de l’histoire d’un couple débouche finalement sur une impasse tant que l’on ne parvient pas à répondre à la vraie question de cette controverse : le couple est-il oui ou non un concept scientifique ? Certes, l’analyse des motivations d’ordre affectif et inconscient est-elle déterminante pour expliquer qu’une rencontre entre deux étrangers mue à plus ou moins court terme en union domestique. Mais l’on peut tout aussi bien privilégier aujourd’hui l’étude des rituels érogènes pour tenter de comprendre comment s’organise cette jubilation dans la durée ou comment elle tourne mal… Ces deux lectures de l’intimité sont néanmoins trop simplistes pour convaincre : les couples ne sont pas des objets rationnels, non seulement parce qu’ils échappent à l’expérimentation, mais aussi parce que la chaîne des signifiants qui les érige en paradigme de la sociabilité est trop vaste pour être abrégée sur le mode binaire, même si ce dualisme entre corps et langage alimente à satiété depuis longtemps le mode de pensée des sociétés occidentales.
Il ne faut pas perdre de vue en effet que toutes les modalités possibles de vivre ensemble sont en réalité prédestinées à mettre en scène les sexes sous l’égide du corps social : partout et depuis toujours, la biographie des couples est codée par le régime politique qui les héberge. En ce qui nous concerne aujourd’hui, et malgré les appels récents à la mutinerie (de la déferlante pornographique aux niaiseries « glamour ») la transition démocratique n’a pas eu gain de cause sur l’emprise des croyances religieuses et des institutions qui les accréditent. Les mutations attendues dans la doctrine de la conjugalité ont échoué -l’éclipse du « mariage homosexuel » en est l’exemple phare- et les attentes de congruence des droits civiques entre hommes et femmes n’ont été que partiellement satisfaites : au contraire, la vague libertaire n’a produit qu’une tension supplémentaire entre les individus et leurs édiles, parce que ses outrances médiatiques s’avèrent n’être que des vertiges éphémères, et surtout parce qu’elle ne concerne qu’une minorité de privilégiés. C’est ainsi que surgit un autre motif d’effroi pour le chercheur : le statut économique des partenaires aux divers épisodes de leur existence. Si « l’argent n’a pas d’idée » selon Jean-Paul Sartre, ni d’odeur comme l’empereur Vespasien le rappelle, il départage les corporations, calibre les hiérarchies sociales et punit les mésalliances… A ce stade, le couple est bel et bien l’otage de préjugés normatifs.
Dès lors, à quoi bon ouvrir un front de dispute intellectuelle au motif de savoir ce qui prédomine dans l’instauration, la durabilité et le deuil de son histoire ? Eh bien si ! La seule précaution consiste à rappeler que la vie privée n’a de « privé » que son titre, et que ses fondations sont composées d’une trilogie indissociable : l’Ame, la Chair et l’Etat. C’est en reconnaissant la force de cette tripartition qu’il devient possible d’évoquer en clinique le rôle de l’amour et de la jouissance dans une vie à deux, sachant désormais que l’exubérance de termes tels que passion romantique ou d’un slogan qui prescrit d’interdire l’ interdit n’ont de fonction que littéraire… En pratique par contre, confrontés aux maux du couple, psychanalystes et sexologues n’ont d’autre planche de salut que le pragmatisme, empreint d’une philosophie réaliste, capable de relativiser aussi bien les souffrances que les illusions. Selon les acquis professionnels c’est le canevas des protocoles de prise en charge qui varie, pas sa finalité : la controverse ne porte finalement que sur la chronologie, l’agencement, la répartition des valeurs qui caractérisent la sexualité humaine, et non leur principe. A cet égard, paraphrasant un trait du baron Paul Thiry d’Holbach (1773) à propos de l’argent précisément, la finalité de la cure n’est-elle pas de faire admettre aux patients que « le couple n’est que la représentation d’un bonheur en puissance ; il ne devient réel que pour ceux qui ont appris l’art d’en faire bon usage ».

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