Tout le monde n’est pas doué pour le plaisir

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Tout le monde n'est pas doué pour le plaisir

publié le 28/02/2002
Fondateur et directeur de l'Institut de sexologie, à Paris, Jacques Waynberg est l'un des pionniers de la sexologie française. Depuis 1999, il assure la seule consultation consacrée à la sexologie et aux maladies sexuellement transmissibles, à l'hôpital Saint-Louis (Paris). Son Guide pratique de la vie du couple vient de paraître au Livre de poche.

En trente ans de pratique, quelles sont les grandes évolutions que vous avez pu observer?
On peut distinguer deux grandes époques, scindées par l'arrivée du sida autour de 1985. Avant cette date, la sexologie restait une discipline assez médicale, qui devait répondre à la demande d'accès obligatoire au bonheur et au plaisir dont la société était imprégnée. S'emmerder dans sa vie personnelle et conjugale était devenu insupportable. Sont apparues des souffrances correspondant à l'obligation de jouissance, à ce mirage né de la civilisation des loisirs et de la consommation. Le harcèlement du bonheur à tout prix - un modèle frelaté, tant il est éloigné de la réalité. Nous autres, sexologues, en nous prêtant au jeu, avons également été victimes de cette loi de l'offre et de la demande. Alors que nous commencions à remettre en question notre pratique est apparue l'épidémie de sida - suivie, depuis peu, par le retour de la syphilis et de la gonococcie, favorisé par le dramatique relâchement des précautions.

Qu'est-ce que le sida a changé?
Tout le monde n'est pas doué pour le plaisir sexuel. Réaliser des chefs-d'?uvre érotiques n'est pas à la portée de chacun. Alors quand, en plus, on peut en mourir... Cette menace a mis un terme à la liberté, sans que le discours vantant les mérites d'une sexualité tous azimuts ait cessé, puisqu'il est vendeur. Les deux images se sont superposées, brouillant la donne. Les timides, les pas doués y ont vu l'alibi idéal pour ne plus rien faire. Les gens fragiles en plein épilogue de leur histoire de couple se sont retrouvés désemparés à l'idée de refaire leur vie. Rencontrer quelqu'un supposait un danger potentiel. La sexualité s'en est trouvée dématérialisée, jusqu'à devenir une marchandise qui n'a jamais été autant consommée, puisqu'on ne pratique plus.

De quelles difficultés se plaignent vos patients?
Au fond, les problèmes n'ont pas changé: les impuissants sont toujours aussi transis et les frigides aussi silencieuses. Les problèmes sont au nombre d'une douzaine - impuissance, éjaculation précoce, impossibilité d'éprouver du plaisir, etc. Mais les gens parlent plus facilement aujourd'hui: le vocabulaire est mieux connu, les patients sont moins timorés, on entre beaucoup plus vite au c?ur du problème. En revanche, alors qu'avant 1985 beaucoup de questions tournaient autour de l'homosexualité, ce n'est plus le cas aujourd'hui - une conséquence du sida. Maintenant, on voit plutôt arriver des couples qui se sont plantés en essayant d'agrémenter leur vie sexuelle: ils puisent dans les modèles d'une pornographie de plus en plus extrême et se retrouvent à pratiquer la sodomie ou l'échangisme sans aucune préparation. Le porno s'est substitué au travail d'initiation érotique que nous, sexologues, aurions dû mener. En dehors de tout jugement moral, le modèle incarné par le porno offre une représentation standardisée. Un style très particulier, très codifié. Le problème, c'est que c'est le seul modèle proposé aujourd'hui. C'est comme si des gosses n'apprenaient à lire qu'avec des polars ou de la science-fiction. Ce style porno se substitue à d'autres - romantique, érotique, etc. - au détriment de la qualité des relations.

Comment les patients expriment-ils leurs difficultés?
Ils utilisent toujours le même vocabulaire, comme des «mots de passe» pour verbaliser leurs problèmes. Mais si les mots et les maux sont les mêmes, ce qu'ils recouvrent a changé. Le désir de performance s'est accru et dramatisé. A cause du sida, la sexualité a été dégradée dans son image, sa représentation, mais elle est de plus en plus présentée comme le passage obligé vers le bonheur. Aujourd'hui, on voit des gamines de 22 ou 23 ans péter les plombs parce que leurs mecs sont, soi-disant, éjaculateurs précoces et les larguer. On croit qu'il suffit d'être à poil dans un plumard pour faire un chef-d'?uvre érotique! L'industrie pharmaceutique a aggravé cette utopie, en proposant des remèdes comme le Viagra. On n'a même plus le temps de se demander ce qui ne va pas que, déjà, les labos vendent leur produit miracle. Avec le Viagra est apparue l'exigence de guérison miraculeuse. C'est une catastrophe.

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