L'Indonésie vient tout juste d'annoncer que pédophiles et violeurs pourront désormais être punis de "castration chimique". Le sexologue Jacques Waynberg revient sur la genèse de cette pratique et sur le terme même de "castration" médicamenteuse, incorrect selon lui, puisque ce traitement réduit les signes extérieurs de virilité de façon radicale… mais réversible. Explications.
L'Indonésie vient d’autoriser la "castration chimique" pour les criminels sexuels. Une réponse "ferme et rapide" apportée par le président Jokowi suite au viol d'une adolescente de 14 ans, début avril 2016.
En France, cette soi-disant "castration" médicamenteuse existe depuis une cinquantaine d'années ; elle a été développée dans le cadre des mesures de prévention des récidives de la criminalité sexuelle, notamment des crimes pédophiles.
Il convient de rappeler que la sanction pénale de tels méfaits se heurte à deux obstacles. Le premier concerne la vertu punitive des peines encourues, notamment des incarcérations, et le second a trait au risque de récidive que les menaces judiciaires – nous disons "l'intimidabilité" des procès – ne permettent pas d'écarter.
Ces médicaments peuvent être prescrits a certains deviants sexuels qui en font la demande. (Simon Isabelle/Sipa)
Le concept "d'antihormone" bouleverse la donne
Le corps médical, et tout particulièrement psychiatres et psychologues, a été questionné de bonne heure sur le thème d'une prise en charge "thérapeutique" des pervers dangereux et lourdement condamnés. Le résultat de ces mesures curatives purement verbales et centrées sur l'analyse des motivations du passage à l'acte condamnable n'a jamais fait l'objet d'un consensus concluant.
Il faut attendre la décennie 1950-1960 aux États-Unis, et l'émergence des progrès spectaculaires des recherches endrocrinologiques, pour que s'ouvre une voie nouvelle pour renforcer l'arsenal des moyens de lutte contre la criminalité sexuelle. Les travaux cliniques et l'invention d'hormones masculines de synthèse a permis une meilleure connaissance du rôle des "androgènes" dans la sexualité, non seulement du point de vue de la fertilité, mais aussi des comportements violents.
Le concept "d'antihormone" a bouleversé la donne des protocoles des sanctions pénales, en agissant à la source-même de l'action : en tarissant les doses d'hormones circulant dans le sang, on ambitionne de stopper net la libido, les besoins sexuels abusifs des sujets, en amont de l'action. Le médicament phare de cette génération d'antidotes du désir sexuel effréné s'appelle Androcur.
L'effondrement du bilan hormonal a donc pour conséquence de démolir les signes extérieurs de virilité de façon radicale… mais réversible, rendant inadéquate l'expression de "castration". Le terme est approprié lors d'une véritable émasculation chirurgicale pour cancer des testicules par exemple. Ici, l'image qui est la plus adéquate est celle d'une "andropause artificielle" – dont les conséquences sur l'état général du sujet, son état psychologique, son système cardiovasculaire ne sont pas à sous-estimer.
Deux problèmes viennent de surcroît atténuer l'engouement, si j'ose dire, de ce recours à cette "camisole chimique", qualifiée parfois comme tel. Le premier est d'ordre purement pharmaceutique. Si une personne sous traitement prend, en catimini, de la testostérone, les effets s’annulent en moins d'une semaine.
Le second renvoie à des considérations éthiques : le traitement ne peut pas être prescrit sans le consentement éclairé de l'intéressé !
Finalement, en l'absence d'un savoir indéniable en matière de conduites sexuelles asociales, la solution pharmaceutique n'est pas une réponse absolue et dénuée d'effets secondaires. L'approche sexologique, longtemps absente du débat, peut être un complément utile à l'effort de contrôle et d'assistance des personnes visées par ces décisions de justice. Dans une démarche d'équipe pluridisciplinaire, la sexologie va apporter une contribution essentielle : celle de l'exploration de la fonction érotique, en replaçant les comportements "pervers" dans leur contexte non seulement obsessionnel, mais aussi existentiel.