Basée sur une stimulation clitoridienne enseignée par des coachs, la méditation orgasmique fait son apparition en France.
Entre deux bouchées de gâteau sans gluten, dans un café vegan à moitié vide, la phrase tombe : «J’enseigne la méditation orgasmique.» Sûrement un peu plus coincée que son interlocutrice, Emmanuelle Duchesne, jolie trentenaire au look un peu baba - un peu alter - un peu chic, on se surprend à vérifier craintivement que personne n’écoute la conversation : une heure trente de clitoris et de méditation, de zen et de recentrage sur ses sensations, de salmigondis orientalisant, de papesses de la méditation orgasmique et de gants en latex. De quoi parle-t-on, au fait ? De la dernière mode en provenance du monde des pseudo-penseurs du sexe, la méditation clitoridienne, qui existe aux Etats-Unis depuis les années 90 et vient d’arriver chez nous, après avoir transité par l’Angleterre et l’Allemagne.
«Slow sex»
Le sud de l’Europe n’y a pas encore goûté, et passe donc à côté des deux écoles du slow sex. Celle de Nicole Daedone (1), fondatrice de One Taste, à San Francisco, organisation enseignant la méditation orgasmique (Orgasmic Meditation, OM pour les intimes, les «OMers») depuis 2001, dont voici la définition de Wikipédia (c’est dire si c’est sérieux) : «Bien que les pratiquants puissent être des deux sexes, l’accent de la méditation orgasmique semble être mis sur l’orgasme féminin, par la stimulation subtile et délibérée du clitoris.» D’autre part, Diana Richardson (2) enseigne le slow sex depuis 1993, prônant dans ses ateliers de ralentir, pour rester connectée dans ses sensations et découvrir une nouvelle sexualité, pas uniquement basée sur l’obligation de jouir. One Taste, qui élève l’orgasme féminin à un niveau de pratique quasi religieuse (qui a parlé de secte ?) et milite pour le plaisir féminin (ce qui est plutôt sympathique, même si c’est un sacré business), propose donc des formations de coach en méditation clitoridienne. Emmanuelle Duchesne l’a suivie, il y a deux ans, comme cinq autres de nos compatriotes, c’est dire si l’OM en est encore à ses débuts dans l’Hexagone, alors qu’elle s’est répandue à la vitesse de l’orgasme en Amérique et au Canada. «Il y a quelques centaines de pratiquants en France, dont le plus âgé a 83 ans, évalue la coach, et pour pouvoir pratiquer, il faut suivre la formation : trois rendez-vous à 60 euros chacun, dont un d’une heure et demie pour discuter et voir si l’OM est adaptée au couple ou à la personne. Si ça n’est pas le cas, on réoriente vers un éventail de pratiques différentes : yoga, tantrisme etc.» Les deux autres séances sont consacrées à la pratique du doigt sur le clitoris, et finalisées par une explication du «ressenti».Les personnes qui participent à ces séances sont souvent déjà tournées vers le zen, le yoga, et ont entendu parler de la méditation orgasmique par le bouche à oreille (si on ose dire). Elles sont séduites par cette approche du fameux «développement personnel», par le mot «méditation» qu’on peut décidément mettre à toutes les sauces, par «une nouvelle approche qui consiste à ne pas être dans l’obligation de jouir, mais dans la connexion, la sensation,analyse la coach. Les hommes veulent mieux connaître la sexualité des femmes. Celles-ci, souvent frustrées, peuvent indiquer précisément ce qu’elles veulent : un peu plus à gauche, un peu moins fort, etc. Comme il n’y a pas de but à atteindre, ni d’idée d’échange de politesse, on laisse le corps s’exprimer sans aucune pression».
On pratique en solo ou en groupe, avec un coach, le matin avant d’aller bosser, à midi, le soir. Plusieurs fois par semaine, si on veut. Mais bon… Se faire tripoter le clitoris par un inconnu ganté de latex au milieu d’autres inconnus qui tripotent d’autres clitoris, ou regarder un couple pratiquer l’OM, sans vouloir faire réac, ça n’est pas un peu, euh… partouzesque, ou voyeur ? «Mais pas du tout, s’étonne la coach. C’est bien plus simple d’aller dans un club libertin, si c’est ça la motivation, que de s’inscrire aux cours d’OM, où il faut parler de soi, faire tout un travail. Les gens sont émus, touchés, ressentent du respect et de l’admiration à découvrir ce qui se passe quand il y a un orgasme.» Mauvais esprit, va.
Certes, on n’a pas essayé, il y a des limites à la conscience professionnelle et au crédit accordé à ce que le docteur Jacques Waynberg (3), sexologue, directeur de l’Institut de sexologie à Paris, passablement agacé par ce nouvel avatar sexuel en provenance directe des Etats-Unis, appelle «une double mystification» : «On fait semblant d’aborder la sexualité de manière tolérante et cool, tout en faisant référence en permanence au taoïsme, à l’érotisme hindou, au mysticisme de Java, avec des mots comme "méditation", qui renvoie au patrimoine érotique oriental. Mais ces espèces de gourous n’ont aucune spiritualité, aucune culture des textes sacrés, juste une gestuelle sans culture». Tout en reconnaissant à la pratique une tentative de restauration de la relation homme-femme, abîmée selon lui par la pornographie qui ne donne de jouissance que dans la vulgarité, l’ancien gynécologue s’esbaudit «de cette hypocrisie tellement américaine du "oui, je la masturbe, mais avec des gants"», ce qui selon lui se situe à l’opposé hygiéniste de l’érotisme.
Sans parler du chronomètre de quinze minutes qui provoque un fou rire chez le sexologue. Il appelle ça «le Canada Dry de l’érotisme» : ça en a la couleur, mais la ressemblance s’arrête là. Le spécialiste reconnaît qu’«il y a un public pour ça, en manque de repères, accessible aux hypothèses de remplacement du porno, de la performance, et sans doute déçu par la sexualité telle qu’on nous la propose aujourd’hui.» Laissons-lui la parole, à ce public.
Sugarland, pratiquante au Canada et aux États-Unis
«le vide total se fait dans mon esprit.»
«Je pratique la méditation orgasmique en privé ou dans des cercles de New York ou de Los Angeles. La différence, c’est que dans les cercles OM, on est un peu plus encadrés, puisqu’il y a des horaires précis et qu’on peut planifier nos partenaires à l’avance. Certains
strokers sont tellement demandés qu’il faut planifier deux semaines à l’avance avec eux. En OM privées, on a plus de latitude, on peut discuter entre deux séances, on lève la main si on n’a pas de partenaire, et on voit qui lève la main aussi. Puis on se met dans le nid et on «OMe».
«Pendant quelques années, les «OMers» avaient un site web privé avec un mot de passe. C’était génial, parce qu’on pouvait voir qui se trouvait où. Donc lorsqu’on voyageait, c’était facile de contacter les gens pour planifier des séances. Au fil du temps, j’ai amassé les coordonnées de plusieurs strokers avec qui j’aime bien «OMer», et je peux les contacter soit par SMS, soit par Facebook. A Los Angeles, au début de ma pratique, je OMais six à sept fois par semaine. Tous mes sens étaient en éveil, c’était génial. Il y a des OM houses dans certaines grandes villes. Il y a deux séances tous les matins, et on peut aussi aller le soir au centre One Taste de la ville (organisation qui enseigne cette pratique). J’ai vécu quelques mois dans la OM house de Brooklyn.
Les sensations peuvent se trouver au niveau du clitoris, mais pas toujours. J’ai parfois des fourmillements, des décharges électriques dans le corps, des frissons, des images, de la lumière, des pulsations au niveau du troisième œil. Mais ce que je préfère, c’est quand mon cerveau se remplit d’une substance cotonneuse et que le vide total se fait dans mon esprit. C’est l’état de silence mental. Et tout cela en seulement quinze minutes.»
Cyril, 35 ans, pratiquant français
«Je l’avertis que je vais venir chercher le contact avec son clitoris»
«Je prépare le «nid» avec un tapis de sol, des coussins et des serviettes. Ma partenaire retire ses habits du bas, s’allonge, et me présente son sexe. Je l’avertis que je vais poser mes mains sur ses cuisses et je prends quelques secondes pour «connecter». J’observe son sexe et lui en décris quelques aspects précis, sans jugement de valeur.
«J’enfile mes gants et enclenche le chronomètre. Je mets du lubrifiant sur mon pouce main droite. Je demande à ma partenaire de soulever le bassin pour poser ma main sous ses fesses et placer mon pouce droit à l’entrée de son vagin. Je mets du lubrifiant sur mon index main gauche, puis j’avertis ma partenaire que je vais venir chercher le contact avec son clitoris. Puis, je commence à masser d’un mouvement de va-et-vient, très léger et peu ample. Nous observons chacun nos sensations, les «connexions» que nous pouvons ressentir. Deux minutes avant la fin des quinze minutes, le chronomètre émet un son et je modifie graduellement mon massage pour faire redescendre l’énergie.
«A la fin des quinze minutes, j’exerce une pression un peu plus appuyée vers le bassin et le bas. Je retire mes gants et j’essuie le sexe de ma partenaire avec la petite serviette. Ensuite nous échangeons chacun un frame, un ressenti factuel, que nous décrivons de la manière la plus précise possible, toujours sans jugement de valeur.»
(1) Auteure de Slow Sex : the Art and Craft of the Female Orgasm,Grand Central Publishing, 2011.
(2) Auteure de Slow Sex : faire l’amour en conscience, Almasta, 2013.
(3) Jouir, c’est aimer, Milan, 2004.