Pourquoi croit-on qu’il existe des aliments aphrodisiaques?

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Chocolat, huître ou gingembre stimuleraient le désir sexuel… pour des raisons plus historiques que scientifiques.

Malgré tout, aucune preuve scientifique de leur efficacité n’est avancée. Les études sur le sujet sont complexes à réaliser, mais Jacques Waynberg est catégorique : « Aucun aliment ne peut stimuler le désir. » Comment, dès lors, expliquer leur réputation ? Dans certains cas, il s’agit d’une ressemblance avec des organes sexuels. Mais généralement, « l’origine de ces croyances est difficile à établir », lit-on encore dans le Dictionnaire des cultures alimentaires. Prenons quatre aliments les plus fréquemment cités : le chocolat, l’huître, le piment et le gingembre.

Chocolat : une réputation aztèque

Pour les Mayas, le cacaoyer était « l’arbre des dieux », apporté par Quetzalcoatl. Plus tard et plus au nord, les Aztèques vénéraient également le cacao. Les fèves étaient grillées, réduites en poudre et mélangées avec de l’eau, de la farine de maïs et/ou du piment. Leur souverain, Moctezuma II, aurait convaincu de ses vertus les conquistadors arrivant en Amérique en 1519. L’empereur aurait vu en Hernan Cortès la réincarnation du dieu Quetzalcoatl, et l’aurait couvert d’offrandes, dont des fèves de cacao. « Lorsque l’empereur expliqua qu’il ne se rendait jamais dans son harem sans avoir bu ce breuvage, les Espagnols, comme un seul homme, tendirent leur tasse », raconte Maguelonne Toussaint-Sammat, dans Histoire naturelle et morale de la nourriture (Le Pérégrinateur). Les conquistadors rapportent le cacao en Europe, ainsi que sa réputation précolombienne. À la cour de Versailles, les galants et les galantes boivent du chocolat chaud dans les alcôves. En 1825, l’auteur et gastronome Brillat-Savarin, dans Physiologie du goût, affirme même que boire un demi-litre de « chocolat ambré » peut fortifier « tout homme qui aura bu quelques traits de trop à la coupe de la volupté ».

L’huître, très symbolique pour les Romains

Cette croyance nous vient de l’Antiquité. « Dans la gastronomie romaine, l’huître fait partie des aliments réputés aphrodisiaques, notamment pour sa ‘mollesse’ évoquant la langueur et son apparence qui peut évoquer le sexe féminin. Les Romains sont attachés aux symboles : pour eux, l’asperge, de forme phallique, était aussi aphrodisiaque », explique Virginie Girod, historienne et auteure de Les Femmes et le sexe dans la Rome antique (Tallandier). Ce mollusque est d’ailleurs très consommé à partir du Ier siècle, c’est un mets festif. « Dans le monde antique, la figue et la moule étaient également des symboles du sexe féminin », note Jean Vitaux, médecin et auteur d’ouvrages comme La Mondialisation à table ou Les Petits Plats de l’histoire (Puf). La réputation de l’huître, elle, a perduré. Par exemple, au XVIIe siècle, le tableau La Mangeuse d’huîtres de Jan Steen représente une image connotée : une jeune femme mangeant des huîtres avec un peu de poivre, deux aliments perçus comme aphrodisiaques à l’époque du peintre hollandais.

Le piment, le piquant et la chaleur

Pour le piment, mentionné pour la première fois par Christophe Colomb, les origines du mythe sont plus confuses, et certainement symboliques. « C’est une croyance liée au côté rouge, chaud, du piment. C’était aussi autrefois un produit très cher. Pendant longtemps, les produits de luxe ont été associés à des vertus aphrodisiaques », observe Jean Vitaux. Plus généralement, beaucoup d’épices ont été à un moment ou à un autres considérées comme aphrodisiaques car elles réchauffent les corps. « Toutes les épices asiatiques (cannelle, muscade, poivre) étaient déjà connues par les Romains. La vanille et le piment, originaires d’Amérique, sont arrivés plus tard en Europe », raconte encore Jean Vitaux. La présumée vertu aphrodisiaque du piment est à mettre en parallèle avec celle du poivre, tout aussi piquant. Les Espagnols ont donné au piment sud-américain le nom de « pimiento », car ils l’ont trouvé similaire mais plus « fort » que leur poivre, déjà appelé « pimienta ». Maguelonne Toussaint-Sammat note dans son ouvrage un emploi alimentaire du poivre en Europe « aussitôt son introduction, vers le VIe ou le Ve siècle avant notre ère ». Et « comme pour toutes les épices, on créditait le poivre de vertus salutaires », et « surtout aphrodisiaques ».

Le gingembre, chaleureux rhizome

Le gingembre est une plante originaire d’Inde. On utilise son rhizome, une sorte de petite racine noueuse, en cuisine, comme une épice. Le gingembre est depuis longtemps relié à l’appétit sexuel. Maguelonne Toussaint-Sammat cite dans son Histoire naturelle et morale de la nourriture un recueil de préceptes hygiénistes et diététiques rédigés dans une fameuse faculté de médecine italienne fondée au IXe siècle : « L’Ecole de Salerne parle du gingembre d’une manière élogieuse (traduction moderne) ‘Au fond de l’estomac, des reins et du poumon / Le gingembre brûlant s’impose avec raison / Éteint la soif, ranime, excite le cerveau / En la vieillesse éveille amour jeune à nouveau. » Ainsi, dès le Moyen-Âge, « les vertus aphrodisiaques, plus que toutes autres, assuraient le succès culinaire du gingembre ». Et pas seulement en Europe : dans de nombreux pays d’Afrique, le gingembre -notamment sous forme de boisson- avait la même réputation. Là aussi, on peut sans doute expliquer cela par son goût piquant, qui réchauffe.

Pourquoi tous ces mythes ?

Bien d’autres aliments ont eu, à diverses époques et dans diverses sociétés, une réputation aphrodisiaque. La truffe, par exemple : pour Brillat-Savarin dans Physiologie du goût, « la truffe n’est point un aphrodisiaque positif, mais elle peut, en certaines occasions, rendre les femmes plus tendres et les hommes plus aimables ». En Asie, on attribue de nombreux bénéfices aux cornes de rhinocéros. « C’est un drame pour le rhinocéros : l’effet placebo est majoré par l’identification de la forme de sa corne à une érection », souligne Jacques Waynberg. Le Dictionnaire des cultures alimentaires cite, entre autres exemples, les pignons, le foie, la soupe de nid d’hirondelles, les oeufs de poissons, la cervelle de boeuf, la banane, les dattes, les artichauts… Ainsi, « la raison profonde de l’apparente efficacité d’un grand nombre d’aliments peut venir du fait que, tout simplement, ils contribuent à créer une sensation de bien-être, aussi bien physique que mental ».
Pourquoi les humains se sont-ils tant intéressés aux substances aphrodisiaques ? « Il ne faut pas oublier que dans l’histoire de l’humanité, la question sexuelle relevait de la survie de l’espèce. Aujourd’hui, c’est sans doute plus le côté ludique qui intéresse. On est tenté d’imaginer un folklore », analyse le sexologue Jacques Waynberg. Mais selon lui, « l’aphrodisiaque, c’est l’autre, en face. C’est une ambiance créée ensemble, de la poésie, de l’érotisme. » Un pouvoir bien plus efficace que celui du gingembre ou du chocolat.

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